Quant à la quantification des pertes, les chiffres rapportés par cette étude fondée sur « trente-sept ans de données de 20 0000 sites de suivi écologique dans 28 pays européennes, pour 170 espèces d'oiseaux différentes » sont faramineux. Il en ressort que 20 millions de spécimens disparaissent en Europe d'une année sur l'autre, soit 800 millions d'oiseaux en moins depuis 1980. La baisse est globale, mais elle n'est pas uniforme selon les écosystèmes considérés : elle s'élève à 57 % pour les oiseaux des milieux agricoles, 28 % pour ceux des milieux urbains et 18 % pour les oiseaux forestiers.
Société. La guerre des chèvres est déclarée—Catherine Porter,publié le 14 avrilDans l'Aude, en Occitanie, une chevrière est entrée en conflit avec ses voisins viticulteurs. Son cheptel prolifère sans mesure. Il erre librement dans la campagne et s'attaque aux broussailles comme aux bourgeons de vignes.page 26page 27Dans ce coin du Sud-Ouest aride, Valérie Corbeaux vit perchée sur des collines rocailleuses avec son troupeau de chèvres.Elle ne destine aucune de ses bêtes à l'abattoir, pas plus qu'elle n'exploite leur lait pour en faire du fromage. Non, cette ancienne Parisienne se promène avec ses biquettes, les nourrit de foin et peut passer la nuit dans sa vieille bergerie pour prendre soin d'elles quand elles sont malades. Ces créatures ne sont pas moins dignes d'amour et de liberté que les êtres humains, dit-elle.Le hic, c'est que les chèvres ne cessent de se reproduire.Et de partir en vadrouille toujours plus loin, franchissant les routes départementales et pénétrant dans des vignobles où, on le sait, elles grignotent les pousses sur ces cultures dont le produit – le vin des Corbières – fait v iv re toute la rég ion.Quand, en 2020, les chèvres sont venues brouter à tort et à travers sur ses deux hectares de cépage vermentino, Julie Rolland a décroché son téléphone pour résoudre le problème avec Valérie Corbeaux comme cela se fait à la campagne : de femme à femme, entre agricultrices, entre passionnées.Cette ancienne ophtalmologiste a repris le vignoble de ses parents peu après la mort de sa mère. Pour elle, la vigne est plus qu'une vocation – c'est un pan vivant de son histoire personnelle.Cette fois-là, Valérie Corbeaux avait une assurance, qui a payé pour les dégâts commis par son troupeau. Depuis, elle a perdu son assurance, et le problème, lui, n'a fait que s'aggraver.“Le problème, ce ne sont pas les chèvres ; c'est la personne qui ne les gère pas”, assène Julie Rolland, 42 ans, qui compare son rituel quotidien (appeler les pouvoirs publics locaux les uns après les autres) à une scène tout droit sortie de la bande dessinée Astérix. “Nous sommes piégés dans une caricature pathétique de l'administration française, poursuit la viticultrice . J'ai envie de hurler en permanence. Il y a des lois! Qu'est-ce qu'ils attendent?”Et maintenant que le printemps est là, ses appels se sont faits plus pressants. Si les chèvres engloutissent les tendres bourgeons de ses vignes, Julie Rolland va perdre des revenus, encore une fois, et un peu plus de son patrimoine. “Je suis seule, je ne peux pas patrouiller sur toutes mes terres. Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ? Que j'achète un fusil et que je m'en occupe toute seule ? On se met à avoir des idées folles.”C'est une histoire bien française de liberté et de bureaucratie. Un feuilleton sur la ruralité et la nature, et sur la vision que chacun s'en fait. Une histoire de gestion des incendies et de conflits de voisinage, où passe (de loin) Brigitte Bardot. Mais, surtout, c'est une histoire de chèvres.Nul ne sait exactement combien de têtes compte le troupeau de M Corbeaux. De sa bergerie perchée à quelque 25 kilomètres de Narbonne, elle les estime à 500, environ.En contrebas dans les vignes, ses voisins assurent que beaucoup sont devenues sauvages et prolifèrent. Lors d'un comptage réalisé pendant un weekend il y a peu, on en a dénombré “au moins 600”, précise Stéphane Villarubias, directeur territorial de l'Office national des forêts (ONF). Le problème étant qu'elles sont difficiles à compter, “elles filent comme des nuages et disparaissent dans les bois”, poursuit-il. “Nous en sommes à nous demander s'il n'y a pas plusieurs troupeaux.”Une chose est sûre, et pour tout le monde : les bêtes sont trop nombreuses pour être gérées par une seule personne.“C'est trop de travail”, confirme Valérie Corbeaux elle-même, pour qui 500 est déjà un chiffre “énorme”. Elle a 55 ans, des problèmes cardiaques… “Cela fait trois ans que je demande de l'aide avec mes boucs.”Valérie Corbeaux n'est pas née parmi les chèvres. Elle qui a grandi dans le béton du X arrondissement de Paris a été à la tête d'une société de logiciels. Et puis, à 30 ans, elle a eu une révélation. “Je gagnais beaucoup d'argent, je travaillais beaucoup, je n'avais même pas le temps de dépenser ce que je gagnais, raconte-t-elle. Et je me suis dit :'Une vie comme ça, ça ne sert à rien. Je veux être utile.' ”Elle part alors s'installer à Avignon, dans le Sud-Est, avec l'idée de travailler comme énergéticienne. C'est là, sur une foire médiévale, que son chemin croise celui de deux chevreaux.“J'étais hypnotisée.” Pour les acquérir, elle les troque contre une glacière électrique d'une valeur de 500 euros qu'elle vient juste d'acheter pour se lancer dans la vente de vin.Les deux bêtes sont devenues cinq, puis 40. Valérie Corbeaux a abandonné toute velléité de travailler pour prendre soin d'elles, à plein temps. “Ce sont mes bébés”, dit-elle en répartissant le foin par terre dans un coin de la bergerie où se pressent des femelles adultes (au nombre de 52, compte-t-elle), et un chevreau, encore chancelant sur ses pattes, né il y a une heure à peine. “Je pourrais mourir pour mes chèvres.”Des années durant, elle n'a cessé de changer de lieu de vie, en quête de l'endroit idéal où ses chèvres pourraient être “e ffi c a ce s et utiles, et où [elle pourrait s']occuper d'elles en leur offrant la vue la plus naturelle possible”.Et puis, enfin, le coup de chance : elle déniche ce domaine de 680 hectares, de la garrigue pour ainsi dire déserte, et pose ses valises. Elle a alors 70 bêtes.Les chèvres ont longtemps fait partie de ces paysages de rocaille broussailleuse. Elles étaient considérées comme des pare-feu vivants, car elles broutent et nettoient les broussailles et l'herbe sèche, qui sont de véritables torches en cas d'incendie, rappelle Luc Castan, le maire de Roquefort-des-Corbières, dont le père éleva le dernier troupeau du village, dans les années 1970. L'été dernier, alors que les feux ravageaient la région, l'élu s'était battu pour faire revenir les chèvres : “Les incendies ont commencé quand il n'y a plus eu de chèvres.”Précisément, Valérie Corbeaux entendait faire revivre l'éco-pâturage, assure-t-elle. Elle avait même commencé à recevoir des subventions européennes pour son travail – un total d'environ 35 000 euros par an d'aides, précise-t-elle, qui viennent de s'arrêter.Les quatre premières années, elle pouvait suivre ses chèvres à pied. Et puis le groupe de boucs, de plus en plus nombreux, s'est mis à s'aventurer toujours plus loin. Et, en 2019, des viticulteurs commencent à se plaindre.Bouc émissaire.“Elles se sont mises à venir de plus en plus régulièrement, de plus en plus nombreuses”, raconte l'un d'eux, Philippe Montanié, tout en observant aux jumelles un groupe d'une dizaine de caprins rôdant autour d'une rangée de ceps de sauvignon blanc, près de chez lui. “Ça fait cinq ans qu'on leur court après. Mes employés y passaient tous leurs après-midi. Deux viennent de démissionner. Leur métier, c'est le vin, pas les chèvres.”Selon le sous-préfet de Narbonne, dix viticulteurs au moins ont officiellement déposé plainte pour les dégâts causés à leurs cultures par les chèvres de Valérie Corbeaux.D'autres, à l'image des propriétaires du domaine du château de Lastours, se sont contentés d'absorber leurs pertes. “Je préfère consacrer mon temps à vendre du vin”, résume Thibaut de Braquilanges, le directeur du domaine, qui a déboursé 6 000 euros pour faire clôturer une parcelle.Valérie Corbeaux, de son côté, assure avoir proposé de financer la clôture des vignes de Philippe Montanié et de Julie Rolland – cela revenait moins cher que de le faire autour des 680 hectares du domaine qu'elle loue. Ils ont refusé. “Qu'est-ce qu'il vaut mieux faire, élever des murs pour nous protéger des bandits, ou bien les mettre en prison ?” s'agace Julie Rolland.Au printemps dernier, une concertation a été lancée pour tenter de trouver un accord entre trois viticulteurs et la chevrière, non en matière de compensation, mais pour faire cesser le problème. Ce fut un échec.Depuis, la situation ne s'est pas améliorée. Pour ses voisins, Valérie Corbeaux est une irresponsable et une “pseudo-écolo”, qui non seulement sape leurs moyens de subsistance, mais nuit à l'environnement. Toutes leurs vignes sont en bio, soulignent-ils amèrement.Valérie Corbeaux le reconnaît : ses chèvres ont fait des dégâts, et elle doit dédommager les victimes. Mais, pour elle, les dégâts ont été surévalués pour augmenter les indemnisations demandées aux assurances. Ses adversaires sont des “voleurs” et des “bandits”, et elle, facile à dépeindre en originale, vivant seule au milieu de la garrigue entourée par des chèvres qu'elle laisse paître en liberté, fait un bouc émissaire bien commode.En France, les associations de chasseurs sont chargées du contrôle des populations d'animaux jugés “nuisibles”, à commencer par les sangliers. Quand la menace est plus grande ou plus aléatoire, par exemple face à des ours rôdeurs, les pouvoirs publics font appel à des lieutenants de louveterie. En 2021, ces experts de la chasse [collaborateurs bénévoles de l'administration] ont abattu un troupeau de vaches qui divaguaient à environ 70 kilomètres de la ferme de Valérie Corbeaux. Le propriétaire des bovins était lui aussi un partisan de l'élevage en liberté.La chevrière a alors craint le même sort pour ses chères bêtes. Le maire d'une commune du coin l'en a d'ailleurs menacée dans une lettre officielle, tout en assurant ensuite que c'était du “bluff” pour lui faire peur et la pousser à agir. De son côté, le sous-préfet assure n'avoir jamais autorisé l'abattage de ces chèvres.Mais, voyant chasseurs et viticulteurs unis contre elle, Valérie Corbeaux en a appelé à une autre des forces vives de la France rurale, les militants de la cause animale. “Empêchez le massacre sauvage de mes 250 boucs de débroussaillage !” s'intitulait sa pétition publiée l'année dernière sur change.org. Plus de 46 000 signatures étaient venues la soutenir.Ces derniers mois, sous les toits ocre des cafés et restaurants des villages des Corbières, les chèvres sont dans toutes les conversations. Tout le monde a son anecdote.Un soir, en rentrant de chez sa mère, Anaïs Barthas somnolait dans la voiture quand son petit ami, qui conduisait, a dû piler net : “Il y avait un bouc au milieu de la route, raconte-t-elle. Il avait des cornes énormes.”Catherine Maître, la maire de Villesèque-des-Corbières, a été réveillée récemment, un dimanche matin, par un appel affolé. Un groupe de chèvres errait sur la route à double sens qui serpente en haut de gorges sinueuses, et jusque dans le tunnel creusé dans la montagne. L'élue a pris sa voiture et filé sur les lieux pour klaxonner tout ce qu'elle pouvait et disperser le bétail. “Je n'en dors plus, déplore cette ancienne viticultrice. J'ai tellement peur qu'il y ait un accident et des morts.”Justice. Au bout du compte, c'est une figure connue pour son amour des animaux, comme Valérie Corbeaux, qui est venue à la rescousse – en tout cas sa fondation. La Fondation Brigitte Bardot a ainsi financé un enclos grillagé de 160 hectares, pour 40 000 euros, sur les terres de la chevrière. Elle s'est aussi engagée à payer les vétérinaires pour stériliser les mâles, afin de limiter la reproduction du cheptel.En ce mois de mai et en juin, au moins trois audiences au tribunal sont prévues pour Valérie Corbeaux à la suite de plaintes des viticulteurs, d'accusations de mauvais traitements portées par les services vétérinaires et de faits de “divagation” de ses bêtes sur la voie publique.Deux villages ont installé des enclos où ils ont placé de la nourriture pour attirer les chèvres vagabondes. Celles que M Corbeaux ne viendra pas récupérer (moyennant finance) seront données ou vendues, précise Catherine Maître, qui dit avoir une liste d'attente bien garnie.Depuis sa bergerie perchée, Valérie Corbeaux dit espérer que, devant la justice, la lumière sera faite sur la réalité des dégâts causés par ses chèvres. Elle se réjouit qu'une solution ait été trouvée, mais elle en a les larmes aux yeux.“Mes boucs, je les aime. Je ne crois pas qu'on ait le droit d'en faire ce qu'on veut – ni de les tuer ni de les castrer, insiste-t-elle. On leur doit plus de respect que ça.”
Elle a fait un bébé toute seule. https://theconversation.com/pour-la-premiere-fois-on-a-observe-une-femelle-crocodile-se-reproduire-sans-fecondation-208881