John renonce - jusqu’à la rencontre de Nick Southall, vingt ans plus tard. En reprenant l’enquête, le journaliste de la BBC convainc un traqueur de nazis expérimenté, Stephen Ankier, de l’aider. Ce dernier obtient un document du KGB répertoriant les officiers de la police auxiliaire biélorusse à Slonim. Le nom de Stan y figure, preuve qu’il a menti sur son vrai rôle pendant la guerre. Il n’est pas le seul. Selon l’historien Martin Dean, qui a travaillé pour l’unité des crimes de guerre de la police britannique, une trentaine de collaborateurs nazis présumés de Slonim se seraient installés en Angleterre et au pays de Galles. Il estime à 50.000 le nombre de complices des nazis infiltrés dans les forces polonaises, un tiers d’entre eux ayant gagné le Royaume-Uni.La justice allemande finit par s’emparer du cas et Stan devient le premier citoyen britannique à faire l’objet d’une enquête de sa part pour crimes de guerre. Mais en octobre 2017, alors que la police allemande attend un feu vert pour fouiller son domicile, Stan meurt à l’âge de 96 ans. John le suit dans la tombe six mois plus tard, victime d’une leucémie. Dans son grenier, Nick Southall trouve des cassettes étiquetées «crimes de guerre» où sont enregistrées des conversations entre John et Stan. Ce dernier évoque un «secret anglais» . Le journaliste effectue un travail de bénédictin, visionne des centaines de films d’archives pour tenter d’y trouver Stan. Un jour, celui-ci finit par apparaître dans un reportage américain de mars 1954 sur le camp de transit de Marienfelde, à Berlin-Ouest. Le narrateur y explique que les réfugiés fuient la «tyrannie rouge» . Marienfelde est connu pour être un vivier d’espions, recrutés par les services de renseignement britanniques, américains et français pour les informer sur l’URSS et l’Allemagne de l’Est. Stan pourrait ainsi avoir été enrôlé par le MI6 britannique, en échange d’une absence de poursuites. Là serait le fameux «secret anglais» .Le professeur Anthony Glees, de l’université de Buckingham, a affirmé à Nick que les services britanniques auraient détruit des dizaines de milliers de dossiers à la fin des années 1980, dont ceux d’anciens nazis recrutés. Ces «passeports pour la liberté», offerts contre services d’espionnage, pourraient expliquer qu’un seul homme ait été condamné pour crimes de guerre à Londres après l’appel de 1988. Mort en prison après avoir reçu une peine de perpétuité en 1999, Anthony Sawoniuk, ancien employé de British Rail, avait lui aussi été membre de la police auxiliaire biélorusse, de la Waffen-SS, puis des forces polonaises combattant avec les Alliés.«Nous ne saurons peut-être jamais toute la vérité, reconnaît Nick Southall, mais notre enquête aura au moins permis de jeter un éclairage nouveau sur un volet de la guerre froide, et c’est pour cela que ces révélations ont été comparées à celles de l’opération Paperclip, le recrutement de scientifiques allemands par les États-Unis.» Stan est mort en emportant son secret et John se sera consumé dans sa quête obsessionnelle de la vérité. Encore glacé par la monstruosité des mots, il avait rapporté à Nick une vantardise de Stan après avoir échappé aux soupçons de la police. «Ces gens sont enterrés dans le sol, lui avait-il dit en parlant des Juifs de Slonim, enterrés et aplatis, et moi ici je vis ma vie. Alors, de quel côté est Dieu?»
L'année suivante, il évoque sa découverte dans deux publications et ne cache pas sa perplexité devant les curieuses gravures de la dalle de Saint-Bélec, ses droites et ses courbes, ses cercles, ses motifs en forme de poire ou de pomme de terre ainsi que ses multiples cupules, de petites dépressions circulaires ou ovales creusées dans la pierre. Il termine sa description ainsi : « Ne nous laissons pas égarer par la fantaisie, laissant le soin à un Champollion, qui se trouvera peut-être un jour, de nous en donner la lecture. »L'archéologie d'aujourd'hui étant par essence pluridisciplinaire, il n'y aura pas un Champollion, mais plusieurs, en l'occurrence l'équipe qu'ont rassemblée autour d'eux Yvan Pailler et Clément Nicolas. Le premier est titulaire de la chaire Archéologie maritime et recherche interdisciplinaire environnementale (université de Bretagne occidentale / Institut national de recherches archéologiques préventives) et le second, postdoctorant à l'université de Bournemouth (Royaume-Uni). « Nous avons fait nos thèses à dix ans d'intervalle , raconte Yvan Pailler. Nous avons tous les deux vu la reproduction de la dalle de Saint-Bélec et nous nous sommes fait la même réflexion : cela semble être une carte. »Mais une interprétation, forcément subjective, ne fait pas une preuve, surtout quand quatre millénaires nous séparent des auteurs des gravures et de leur univers symbolique. Pour affirmer qu'il s'agit bien d'une carte, il faut étudier à fond la dalle de Saint-Bélec.Problème : elle a disparu. Après la mort de Paul du Chatellier, sa collection a, en 1924, été vendue par son fils au Musée d'archéologie nationale (MAN), qui occupe le château de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). Jusque dans les années 1990 la dalle est installée dans une niche d'une des douves du château. Puis sa trace se perd… « On savait qu'elle était dans la collection du MAN, explique Clément Nicolas. On a donc fait le tour de tous les endroits du château où elle pouvait se cacher. Grâce à la bonne mémoire d'un gardien, on l'a retrouvée dans une cave sombre et humide, entreposée face gravée contre le mur, sur une armature en bois qui commençait à pourrir et menaçait de s'écrouler. » C'était en 2014.« Il a fallu trois ans pour convaincre que c'était un document exceptionnel et obtenir quelques subsides afin de faire venir une entreprise spécialisée pour soulever cette lourde dalle et la poser à plat » , ajoute Yvan Pailler. L'étude peut commencer.Les deux archéologues exposent leur intuition à quelques collègues : « Les géographes ont commencé à nous suivre quand, sur le terrain, on a vu des correspondances entre les gravures et le paysage environnant » le site du tumulus. La grande ligne horizontale qui coupe la dalle en deux fait songer à la vallée de l'Odet qui suit les Montagnes noires, la plupart des traits aux rivières qui coulent dans le coin. « Quand on a superposé les cartes topographiques et le relevé 3D de la dalle, cela nous est apparu comme une évidence », poursuit Yvan Pailler.Une évidence à confirmer. C'est la géographe Julie Pierson qui effectue les calculs statistiques pour « évaluer le degré de correspondance entre ce document et les cartes actuelles » , précise Clément Nicolas. A quel point le réseau complexe qui apparaît sur la dalle coïncide-t-il vraiment avec les grandes lignes du relief et le réseau hydrographique de ce bout de Finistère ? « On arrive à des degrés de similarité compris entre 65 % et 80 %. C'est supérieur aux résultats qu'obtiennent les cartes mentales que les ethnologues recueillent auprès de peuples comme les Papous ou les Touaregs », complète Clément Nicolas.La dalle de Saint-Bélec serait donc la plus vieille représentation cartographique d'Europe. Les deux archéologues espèrent que leur méthode sera reprise pour les autres gravures du même genre que l'on retrouve dans plusieurs pays européens et qui ont été interprétées comme des cartes sans autre forme de démonstration.Ils s'attendent aussi à un vif débat sur leurs résultats, certains chercheurs n'étant pas prêts à accepter que nos ancêtres de l'âge du bronze avaient une capacité cartographique. Yvan Pailler et Clément Nicolas reconnaissent d'ailleurs que le travail n'est pas fini : « Le décodage n'est pas complet, concède Yvan Pailler. Que veulent dire les patates, les différents types de cupules, les traits pour lesquels on n'a pas encore de légende ? Il nous faut rechausser nos bottes, retourner sur le terrain. »Ultime question : à quoi servait cette carte ? Une tonne et demie, pas question de la transporter dans sa poche pour se repérer en promenade. Pour répondre, il faut se replacer dans le contexte. L'âge du bronze ancien dans la région voit l'apogée d'une société très hiérarchisée et d'élites, les « petits princes de l'Armorique », qui contrôlent la terre. « La carte est aussi, pour un pouvoir politique, un moyen d'affirmer son autorité sur un territoire », conclut Clément Nicolas. Une manière de dire « ceci est à moi ».
Je m'interroge sur le refus de certains d'admettre qu'à une époque aussi reculée on pouvait envisager le concept même de carte. Est-ce parce qu'il n'en reste quasiment pas au-delà d'une certaine période qu'on a déduit que ça n'était pas envisageable ?
Ils s'attendent aussi à un vif débat sur leurs résultats, certains chercheurs n'étant pas prêts à accepter que nos ancêtres de l'âge du bronze avaient une capacité cartographique
Ultime question : à quoi servait cette carte ? Une tonne et demie, pas question de la transporter dans sa poche pour se repérer en promenade. Pour répondre, il faut se replacer dans le contexte. L'âge du bronze ancien dans la région voit l'apogée d'une société très hiérarchisée et d'élites, les « petits princes de l'Armorique », qui contrôlent la terre. « La carte est aussi, pour un pouvoir politique, un moyen d'affirmer son autorité sur un territoire », conclut Clément Nicolas. Une manière de dire « ceci est à moi ».