Il ne s'en cache pas et n'a pas la prétention d'être résolument et totalement neutre mais au moins il en tient compte dans son travail.
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Ce que Mahomet demande initialement à sa tribu, c’est plus de solidarité. Contrairement à une idée reçue, les Mecquois n’étaient pas de grands caravaniers. Mais ils semblent avoir réussi à mettre sur pied, à la fin du VIe siècle, un modeste trafic de deux voyages, l’un d’hiver vers la frontière du Yémen et l’autre de printemps qui aurait longé la côte de la mer Rouge en direction du nord (Coran 106, 2). Certains clans se seraient alors enrichis, mais auraient refusé de se montrer solidaires avec ceux restés sur place, pour s’occuper notamment du culte de la Kaaba. L’inspiration première de Mahomet consiste à « avertir » la tribu que si elle persiste dans cette conduite inique, elle va en subir les conséquences. Un homme de tribu devait en effet avertir les siens de tout danger qui les menacerait.Sa tribu le prend-elle au sérieux ?Pas du tout. On lui rit au nez. C’est à ce moment-là que commencent à se développer des thématiques issues du monde biblique. Il faut savoir que le judaïsme était implanté au Yémen depuis un peu plus de deux siècles. Le christianisme avait suivi à un siècle d’écart. Mahomet a dû avoir accès à des récits provenant de cette source. La première thématique empruntée à la Bible est celle de l’eschatologie [la fin des temps] : si vous n’écoutez pas les avertissements, vous allez être jugés et la tribu va disparaître. [...]Vous dites cependant que le prophète de l’islam ne s’appelait peut-être pas Muhammad.Muhammad signifie « celui qui est louangé » – non par les hommes, mais par Dieu. Cette dénomination se trouve inscrite à plusieurs reprises sur la coupole du Rocher, à Jérusalem, achevée en 692 à l’époque omeyyade, comme pour faire un affichage destiné à être vu urbi et orbi. S’agit-il de son nom réel ? Sans doute pas. Il est possible qu’il s’agisse d’un nom destiné à renforcer son prestige. Certaines sources lui donnent un autre nom plus ordinaire : Qutham (qui signifie « celui qui distribue sa part de butin »). [...]Je suis persuadée que les hommes de tribu n’ont jamais cru aux promesses de paradis ni aux menaces de l’enfer qui étaient étrangères à leur imaginaire collectif. Leur obsession était de continuer à vivre ici et maintenant. C’était d’autant plus le cas à La Mecque, qui n’était pas une oasis. Il n’y avait aucune production agricole locale. Il fallait aller chercher l’approvisionnement à plusieurs jours de marche au pas des chameaux. La sourate 106, 4 souligne que c’est le « Rabb de la Demeure » (la Kaaba) qui fait échapper la cité à la famine et à la peur (des attaques).Pourquoi Mahomet, en butte à l’hostilité des Mecquois, choisit-il de se réfugier à Médine en 622 ?Parce qu’il aurait eu une grand-mère paternelle issue d’un clan médinois, et non parce qu’il était attendu en tant que prophète, comme le fantasme la tradition musulmane postérieure. Contrairement à La Mecque, Médine était une grande oasis prospère qui nourrissait cinq tribus. L’exil médinois de Mahomet lui donne des moyens d’action dont il ne disposait pas à La Mecque. Il n’est plus contraint à la loyauté envers sa tribu d’origine, puisqu’elle l’a banni. Il va donc pouvoir se lancer dans un jeu politique alternant actions de force et négociation dès que cela devient possible. Son but est en effet de devenir un interlocuteur politique crédible. Deux ans avant sa mort, il prend le contrôle de La Mecque à l’issue d’une négociation avec son clan, dont sortira plus tard la dynastie omeyyade. [...]Le djihad désigne l’effort que l’on fait pour aboutir à un objectif. Dans la partie mecquoise du Coran, il est dit que si des parents « font le djihad », donc « tous leurs efforts », contre leur enfant pour l’écarter de la voie d’Allah, il ne faut pas leur obéir (31, 15) : c’est le sens de base. A Médine, lorsque Mahomet voulait lancer une action, il devait faire appel aux volontaires car on était dans une société où nul ne pouvait contraindre quelqu’un à s’engager. Cela valait au cas par cas, pour chaque action en particulier. Le djihad dans la voie d’Allah est donc simplement le fait d’accepter de s’engager temporairement dans une action.L’appel se répète et devient insistant, car les volontaires ne se bousculaient pas (4, 75). Il y a donc un profond malentendu sur la violence dans le Coran. Ce n’est en aucun cas une violence religieuse. Les actions de force s’inscrivent dans les règles communes de l’Arabie tribale.[..]Avant sa mort, il réussit à mettre sur pied, non un Etat musulman, mais une confédération tribale conforme au modèle politique que lui permet sa société. La socialité tribale reposait sur le principe de l’alliance. Mahomet est obligé de se plier à ce jeu. On attendait de l’allié divin qu’il garantisse à la fois la sécurité des tribus, leurs moyens d’existence et si possible leur expansion. Le Coran ne se lasse pas d’apporter des assurances sur ce plan.Après la mort de Mahomet, en 632, le moteur des conquêtes que l’on dit « musulmanes » mais qui sont, en réalité, une expansion tribale, repose sur la conviction que l’allié divin donne la victoire. Quand cette victoire se concrétise, la conquête ne peut que s’étendre tant qu’elle ne rencontre pas d’obstacle. [..]Comment expliquer que Mahomet n’ait pas cherché à organiser davantage sa succession ?Dans les sociétés tribales, on n’organise pas sa succession, ce sont les survivants qui décident de la suite. On ne choisit jamais un enfant, mais l’homme le plus apte, car il s’agit d’une société de pragmatisme total. [..]Justement, quelles sont les sources qui nous informent sur la naissance de l’islam et la vie du Prophète ?Les sources qui nous renseignent sur Mahomet consistent en deux corpus, qu’il faut séparer. Le Coran, tout d’abord ; la Sîra et le Hadith, ensuite. La rédaction finale du Coran est à situer entre le milieu et la fin du VIIe siècle, sous le contrôle encore arabe et tribal des Omeyyades. S’ils ont gouverné un empire de 661 à 750, leur mentalité était restée tribale. Ils ont refusé la conversion des non-Arabes. Pour entrer dans l’alliance d’Allah, il fallait parvenir à se rattacher à une tribu. Les conversions furent donc en nombre infime.Cela change un siècle plus tard, quand les Abbassides, pourtant eux aussi d’origine mecquoise, renversent les Omeyyades. Ce qui restait du système tribal disparaît. Le calife devient un potentat. Le nouveau pouvoir commande une biographie de Mahomet, la Sîra, qui met en scène son statut prophétique, faisant de lui le héros de l’islam des origines. C’est aussi à cette époque que s’ouvre largement la porte des conversions pour toutes les populations de l’empire. Les premiers convertis appartiennent à l’élite proche du pouvoir, notamment des théologiens initiés à la philosophie grecque qui leur avait été transmise par les chrétiens syriaques.Un siècle après, au IXe siècle, c’est au tour des populations des grandes cités de l’empire de se convertir. Le corpus du Hadith (paroles attribuées à Mahomet) date de cette seconde époque. Il reflète le regard que portent sur le « Prophète » ces convertis qui sont à la recherche d’une figure fondatrice qu’ils vont sacraliser. Le Hadith se fabrique à partir d’éléments divers comme un énorme bricolage. Mahomet se mue alors en figure modèle donnée à imiter.