Chapitre 24 : Eclosions.
L’enfant arborait maintenant du haut de sa treizième année une silhouette sculptée par l’effort de sa vie ardue. Malgré la haine intérieure qui le rongeait, jamais Ouari n’avait trahi sa maîtrise du cosmos. Il devait survivre pour lui et sa mère. Sa vie d’esclave l’obligeait à travailler durement à la carrière parmi dix mille autres malheureux. La carrière d’Aksout s’étendait à perte de vue. Des blocs monumentaux taillés dans les falaises par une armée de fourmis cheminaient parmi les échafaudages et les charrues pour être expédiées vers les sites de constructions des temples et palais de tout le Nome. Toute la journée, des bruits métalliques rythmaient les heures de labeur. Etant trop jeune pour être affecté au poste de tailleur, Ouari était chargé de nettoyer les gravats de taille. Son corps exposé au soleil brûlant réfléchi par la roche blanche se tannait jour après jour d’un brun doré. Ses yeux à longueur de temps plissés étaient déjà marqués de petites rides. Il portait un linge dérisoire sur sa bouche pour se protéger des poussières générées par les gravats. La vie était difficile et nombreux étaient ceux qui tombaient. Ils étaient alors remplacés par de nouveaux malheureux. Leurs carcasses finissaient ensuite jetées au feu comme de vulgaires morceaux de viande. Voilà ce qu’il était devenu, de la viande.
Le soir, lorsqu’il essayait de retrouver sa couche, commençait le temps des brimades et des coups. Régulièrement, il avait pris l’habitude de se faire voler son repas par un groupe d’autres esclaves plus grands et qui l’avait pris pour cible. La loi des camps était sans pitié. Leur meneur, le grand et fort Omar, se faisait un malin plaisir à le frapper. Mais un jour viendrait le temps de régler ses comptes…Le seul moment de calme qu’il pouvait trouver était lorsqu’il retournait dans son tas d’immondices qui lui servait de maison, juste derrière les toilettes. La puanteur accentuée par les rayons du soleil repoussait tout candidat. Seul Ouari put et dut s’accommoder au lieu afin de trouver son havre de paix. Isolé des autres, il vivait comme un paria.
Il avait réussi à trouver où était gardé sa pauvre mère et on lui avait expliqué, non sans moqueries, quels tourments quotidiens elle vivait. On lui avait narré comment elle était régulièrement offerte aux aides de camp et devait assouvir les moindres phantasmes débridés, humiliants et pervers de ses geôliers. Ces pensées le révulsaient et il était à deux doigts de courir pour la délivrer. Hélas, bien que progressant à pas de géant, il était loin de faire poids contre les soldats du camp. Il ruminait ces horreurs et c’est ce qui le motivait pour s’entraîner sans s’arrêter, isolé des yeux des autres. Il devait devenir plus fort, encore et encore.
En quatre ans, il avait réussi à contrôler son pouvoir. Il pouvait faire apparaître et disparaître son cosmos à volonté. Sa force lui permettait maintenant d’écraser de sa paume des morceaux de marbre sans difficulté. Il comprenait comment il avait fait pour démolir l’arbre de son ancienne maison et pouvait même le reproduire. Mais il se sentait bridé, il ne savait pas pourquoi, ni comment et c’est pour cela qu’il devait continuer son entraînement clandestin.
Des échos de la vie extérieure lui parvenaient aussi indirectement aux oreilles. L’ordure d’Esna, celui qui était à l’origine de leur nouvelle condition, était ainsi devenu Ouser. Il était à présent le second homme le plus puissant du Nome. Sa gouvernance avait marqué une hausse de la répression envers le peuple et surtout des actes racistes contre les non Egyptiens. Lui aussi ne perdait rien pour attendre. Et le Nomarque, qu’avait-il fait-il pour sa mère et lui ? Rien. Qu’avait-il fait contre Esna ? Rien. Pire même, il l’avait promu. Lui aussi subirait un jour son courroux.
Le temps ferait son œuvre.
***
Deux nouvelles années avaient succédées aux quatre premières. Ouari en tant qu’adolescent se construisait jour après jour. Contrôlant le flux d’énergie, il cherchait maintenant à le canaliser dans des frappes dévastatrices. Il sentait qu’il pourrait aujourd’hui facilement tenir tête aux gardes du camp, par contre pas contre le Saïs pervers qui le dirigeait.
Un soir, un évènement qui aurait pu lui coûter la vie, lui ouvrit miraculeusement les yeux sur quoi faire de ce cosmos et ce que serait la voie à suivre. Ce soir là, alors que le soleil se couchait et qu’il s’asseyait sur sa natte, il se retrouva nez à nez avec un cobra prêt à bondir sur lui. Pris de panique, il fut paralysé d’angoisse. Le doute emplit alors son esprit, devait-il le laisser le mordre et ainsi mettre fin à son calvaire ? Au moment où le reptile chargeait, il recula d’un bond. Il avait décidé qu’il devrait survivre et rien n’arrêterait sa vengeance.
D’un geste instinctif, il lança sa main en avant vers le cobra.
- Non !
Sans qu’il ne sache comment, un jet noir sorti de sa paume orientée vers le sol. Le rayon disparut dans la roche pour ressortir immédiatement et frapper le reptile qui s’arrêta net. Le cobra ne bougeait plus comme coupé dans son élan. Surpris, Ouari ne put comprendre ce qui se passait. Il observa circonspect l’animal figé. Il s’approcha lentement pour le toucher. A sa grande stupeur, rien ne se passa. Il ne sait comment mais il sentait au plus profond de lui un lien entre son esprit et l’animal. Il se risqua à une pensée ridicule, il parla à l’animal mentalement.
- Range tes crocs.
Il constata, éberlué, que l’animal lui obéit. Il continua avec d’autres ordres mentaux et à chaque fois, le reptile obéissait. Il pouvait contrôler les animaux. Mais comment avait-il fait ? Il fallait qu’il comprenne et réitère ça. D’autres questions lui vinrent à l’esprit, notamment, est-ce que cela ne marcherait qu’avec les serpents et pouvait-il en contrôler plusieurs à la fois ? Une dernière pensée plus stratégique lui vint aussi, est-ce que cela marcherait avec les humains ? Il était fou de joie, il aurait voulu courir voir sa mère pour lui exposer sa nouvelle prouesse. Mais comme à l’accoutumée, il était seul et devait cacher au plus profond de lui cette nouvelle aptitude. Sa cette nuit là, il décida de ce que serait sa nouvelle vie, il agirait maintenant tel un serpent, froid, discret et mortel.
Esna quant à lui avait continué d’assouvir ses instincts sanglants. Il avait réussit à force de perversité à décider le Nomarque Khnoumhotep à mener un raid sur les lignes Hyksôs. La lutte fut marquée par une débauche de violence contre les Barbares. Une province entière de l’Empire était dorénavant rattachée au Nome de Siouah.
***
Il avait fallu, au jeune homme de dix sept ans qu’il était devenu, trois nouvelles années avant qu’il ne comprenne et ne maîtrise son pouvoir de contrôle des êtres vivants. Il avait tenté maintes et maintes expériences discrètes sur tous les animaux qu’il croisait. Les efforts demandés étaient au départ très intenses. Mais au fur et à mesure cela devint comme naturel et ne lui demandait plus aucun effort. Il avait réussi un jour à prendre contrôle simultané de près d’une cinquantaine de mules et dromadaires. Le chaos qu’il s’amusa à créer amena un court moment de gaîté dans ce lieu morbide. Il eut la réponse à certaines de ses questions. Mais il en restait une, la plus cruciale.
Un soir que le sadique Omar s’en allait aux toilettes, Ouari décida de mettre en œuvre un ultime test. Sa victime était la meilleur possible. En effet, qui mieux que celui qui passait son temps à l’humilier ferait l’affaire ? Il le laissa entrer dans la bâtisse et commencer son œuvre. Ouari se concentra alors et lança le jet vers le sol. Le jeune homme reçut le rayon sans rien comprendre. Un léger cri accueillit le choc. Une sorte de vers noir remonta sous sa peau à une vitesse vertigineuse pour finir dans sa tête. A cet instant, son visage se couvrit de vaisseaux sanguins noir formant une toile d’araignée puis tout disparut comme par enchantement. Seuls ses yeux présentaient une couleur entièrement noire. Mentalement, il ordonna à Omar de sortir et vit avec stupeur un homme, la bouche ouverte ouvrir la porte du lieu et s’avancer vers lui. Le noir profond de ses yeux stupéfia Ouari. Le plus intéressant était que cela ne lui avait pas demandé plus d’efforts que pour maîtriser les autres animaux. C’était tellement simple que cela lui décrocha un rire noir emprunt de revanche sanguinaire.
- Bien. L’heure de notre libération se rapproche à grands pas, maman.
Il joua avec le pauvre esclave pendant près d’une minute, le faisait gesticuler de façon ridicule. Il décida de mettre un terme à ce jeu de pantin mais il voulait clore la distraction en beauté. Il voulait l’humilier à son tour. Il rigola à la pensée qui lui traversa l’esprit et l’appliqua. Il fit rentrer Omar dans les latrines, le fit se plonger dans la fange et se couvrir le visage d’excréments humains. Une fois le bain effectué, il le fit retourner vers sa couche. Suivant la scène, caché au loin, il lâcha son emprise une fois Omar arrivé devant ses camarades regroupés autour d’un feu. La puanteur du personnage et son allure ridicule, les firent éclater de rire. Omar ne comprit jamais ce qui lui était arrivé et devint à son tour la source principale de moqueries récurrentes. La vie de Ouari en devint beaucoup plus agréable. Mais là n’était pas le plus important pour lui. Son test avait fonctionné. Il sentait toutefois toujours ce blocage en lui. Il devait maintenant apprendre à contrôler les foules et faire sauter ce satané verrou.
Le temps lui avait aussi appris comment était organisé la société Egyptienne, où étaient localisées ses armées et comment elles étaient composées. Il avait aussi appris que le siège des Dieux Egyptiens était situé dans la capitale Thèbes, au centre du pays. Des idées germèrent alors en lui, des idées de grandeur…
***
A dix huit ans, Ouari prit conscience qu’il avait passé la moitié de sa vie dans ce camp d’esclave, la moitié. Cela faisait neuf ans de souffrances, neuf ans sans voir sa mère, neuf ans à subir des brimades et à s’entraîner sans cesse. Il était las de la situation. Un jour tout bascula.
Alors que son groupe rentrait vers son enclos, il s’aperçut qu’il passait de nouveau devant la tente du Saïs. Des cris retentissaient de la tente. Soudain, une femme fut violemment projetée hors de celle-ci, une femme nue…sa mère. Elle chut sur le sol. Elle ne ressemblait plus du tout à son souvenir. Son corps avait lui aussi vieilli de neuf années, neuf années de sévices sexuels. Son visage fatigué, vide, marquait son absence. Elle ressemblait à un fantôme. Un homme surgit à sa suite, le Saïs Kader, le maître du camp. Il était furieux et pointait du doigt sa pauvre mère.
- Chienne, tu as voulu me tuer en me rendant malade !
En effet, le corps de sa malheureuse mère présentait des éruptions cutanées accompagnées de la perte de cheveux par endroit et d’une partie de ses sourcils. Tous ces signes témoignaient malheureusement de la présence de la syphilis.
- Tu vas payer pour ton affront !
Elle se releva et courut vers le groupe de jeunes.
- Divine Light !
Une sphère d’énergie la faucha dans le dos dans sa course. C’est un corps déchiré en deux qui s’écroula aux pieds de Ouari.
- Maman !!!!
Le Saïs esquissa un sourire et se retourna pour inspecter la foule. D’un coup, il pointa le doigt vers une jeune pucelle de dix sept ans.
- Toi, tu prendras sa place, entre dans la tente !
Sur ces mots, deux gardes l’arrachèrent aux bras de sa mère pour l’emporter dans le lieu de débauche dans un chaos de cris.
Personne ne prêtait plus attention à Ouari. Il se tenait, en pleurs, au pied du corps mutilé de sa défunte mère. Il était tétanisé, entre résignation et colère. Ce n’est que lorsqu’un garde lui assainit un violent coup dans le dos qu’il reprit conscience du monde.
- Lève-toi, esclave, et rejoins le groupe !
Il se releva, le regard le plus sombre qu’il n’ait jamais porté.
- Non !
- Comment ça non ? Tu vas obéir, larve !
- Plus jamais.
Sur cette parole, il déploya une énergie telle qu’il n’avait jamais pensé posséder. Le verrou venait de sauter…Stupéfait, les gardes reculèrent. Ouari, leva ses bras vers l’avant, paumes vers le sol et lança son attaque. Copiant ce que faisait son père, il avait donné un nom à sa frappe.
- Dark Parasites !
Soudain un éclair émergea d’un nuage, traversa son corps pour finalement créer des milliers de rayons noirs sortant des paumes de ses mains tournées vers le sol pour y plonger. Il sembla un instant comme lié au ciel et à la terre. Les rayons noirs qui avaient quitté le corps de Ouari il n’y a même pas une seconde jaillissaient du sol telles des lances mortelles vers leurs proies. En un instant, il se rendit compte éberlué qu’il venait de prendre le contrôle de toute la foule, homme, femmes, soldats. Tous présentaient une attitude figée et les yeux d’un noir froid. Il s’approcha du garde qui venait de le frapper jusqu’à le regarder droit dans les yeux sombres. Il sourit puis se retourna. Suivant sa pensée, il vit avec délice le groupe d’une quarantaine de personnes s’agenouiller devant lui. Il contempla le corps de sa mère puis se mit en marche vers la tente de son assassin. Une haie se créa sur son passage et il pénétra enfin dans l’antre du monstre.
La scène à laquelle il assista le remplit de dégoût. La jeune fille pure était maintenant nue, allongée le ventre sur les coussins. Kader s’afférait étendu sur son dos à initier l’innocente à un nouveau plaisir contre nature. Perdue entre cris de douleur et râles d’orgasme, elle ne savait plus que penser de son corps devant cette jouissance. Ouari imagina avec horreur par quoi était passé feu sa mère et cela alimenta d’autant plus sa haine envers le Saïs.
Surpris dans ses ébats, le maître du camp se libéra de la pauvre pour se relever avec fureur. Elle en profita pour se sauver en courant.
- Comment oses-tu entrer chez-moi ainsi ! Qui es-tu et que me veux-tu ? Dit-il tout en se rhabillant.
Non déstabilisé, Ouari le toisait du regard.
- Je me nomme Ouari et si ce nom ne te dit rien sache que moi je me souviendrai de toi toute ma vie. Je suis le fils de la femme que tu viens de tuer. Je suis le jeune que tu as fait violer il y a de cela neuf ans. Tu me dégoûtes, sale ordure perverse. Il est temps pour toi de rendre des comptes.
- Tes mots vont te coûter la vie, esclave. Divine Light !
Le Saïs déploya une nouvelle sphère de cosmos qu’il lança vers Ouari. Le jeune homme tendit sa main devant lui, confiant du nouveau pouvoir qu’il sentait émerger. A la surprise de Kader, la boule stoppa net devant sa main puis fut doucement absorbée par Ouari.
- Mais ce n’est pas possible, tu ne peux pas maîtriser le cosmos !
- Hélas pour toi, si.
D’un mouvement rapide, il courut vers le Saïs, le saisit par la gorge, le souleva, l’emporta pour finalement le faire s’encastrer dans le sol. Sous le choc, le corps du pervers s’enfonça de vingt centimètres, soulevant par la même occasion un nuage de poussière. Quelques os marquèrent leur mécontentement au travers de douloureuses fractures. Kader marqua le sien par un cri. Il tenta alors de se redresser, sans succès.
- Que m’as-tu fait, je ne peux plus bouger ?
- Je suis plein de ressources, charogne. Tu vas l’apprendre à tes dépends.
Ouari sentait que le flot de colère et de haine emmagasiné depuis neuf années sortait enfin de son corps. Et son nouveau pouvoir laissait augurer des heures sombres pour le Saïs. Le jeune agita les doigts de sa main droite illuminée de cosmos vers le prisonnier. Lentement le Saïs vit ses doigts commencer à pourrir puis partir en petits morceaux de chair noire. Suivant les doigts, ses mains prirent le relais, puis les avants bras. Doucement, le mal rongea le malheureux jusqu’aux épaules. Des hurlements d’agonie furent entendus loin autour de la tente. La douleur extrême faillit le faire basculer dans l’inconscience. Sentant son adversaire partir, Ouari usa de son cosmos pour le maintenir éveillé. Il ne devait pas le laisser fuir devant l’agonie de sa vengeance.
- L’expiation est-elle douloureuse ?
- Laisse-moi mourir !
- Patience, ton tourment n’est pas encore achevé.
Dans une même torture, Ouari lui fit disparaître ses deux jambes. L’homme tronc avait le front qui perlait de sueur mais il avait enduré tout ce calvaire sans prendre connaissance…grâce à Ouari. La voix du prisonnier était à présent cassée par les cris arrachés du fond de sa gorge.
- Te voilà moins orgueilleux, Saïs. Dit-il en lui crachant au visage. Tu vas payer pour ta perversité, pour ma mère, pour moi, pour tout le mal que tu as pu faire aux autres esclaves. Mais rassure-toi, tu ne seras pas le seul. D’autres suivront, beaucoup d’autres…Adieu larve innommable.
D’un geste brusque, il saisit des parties génitales de Kader et lui arracha sèchement. Un dernier cri déchira les airs. Un cri strident mais bref car Ouari les lui enfourna violemment dans la bouche. Le pauvre homme essaya à les recracher en vain. Pris de court, il cherchait à respirer mais sans succès. Son visage prenait une couleur de plus en plus rouge à mesure que son corps convulsait. Dans un dernier spasme, il cessa ses mouvements. L’homme tronc qui fut Saïs Kader venait de mourir étouffé par ses propres organes sous le sourire sadique et morbide de Ouari. Le cadavre du maître des lieux inspirait la pitié devant ce qu’il avait du endurer. Ouari, lui pleurait de joie. Le monstre était enfin mort. Mais il en restait d’autres…
Il ordonna à ses nouveaux soldats de jeter la carcasse du Saïs dans le tas d’excréments des latrines. Un autre groupe apporta ensuite le corps de sa mère dans la tente. Après un instant de recueillement devant la dépouille, il sortit et mit le feu au lieu. Il resta un moment à méditer devant le brasier.
- Maman, papa, soyez fiers de moi car aujourd’hui je suis enfin prêt. Je vais nous venger.
Il se retourna alors, froid, pour inspecter son nouveau domaine. Une partie d’humanité qui restait en lui venait de partir en fumée avec sa mère.
***
Sur le fil du Nil, une frêle felouque glissant sur les flots portait à son bord un jeune homme au nom d’Emhat. Du haut de ses 19 ans, l’homme longiligne arborait une chevelure lisse noire. Le fils d’Hathor affichait son air mélancolique habituel. Depuis sa naissance, il avait toujours été aussi triste. Mais comment ne pouvait-il pas être autrement devant une mère Déesse qui ne s’occupait pas de lui et un beau-père, le Dieu Sobek, qui le repoussait, lui le bâtard né d’une orgie entre sa mère et un mortel. Rien dans sa vie ne le réjouissait. Il se demandait quel pouvait être le but de son existence ? En ce jour aussi morose qu’à l’accoutumée, il avait décidé d’effectuer une sortie sur l’île de Sedhjika. De façon nonchalante, il était avachi dans l’esquif, les yeux perdus dans le vide, la main frôlant l’eau. Soudain, la voix du capitaine le sortie de ses songes.
Crocodiles !
Il revint à la réalité. Bien que calme, Nil abritait de nombreux crocodiles guettant les malheureux qui s’aventureraient trop prêt d’eux. Emhat avait failli devenir l’un d’eux. Mais quelle importance ? Il retira au dernier moment retiré sa main. Il avait alors vu passé une ombre sous l’eau non loin de lui.
Merci.
Arrivé sur l’île, il grimpa sur la haute dune entourée de dattiers surplombant l’horizon. Cette dune était réputée pour être l’une des plus hautes du pays. Un mythe disait même qu’elle permettait d’atteindre les Dieux. Quelle ironie, lui le fils d’une Déesse qui cherchait dès qu’il le pouvais à quitter l’antre des Dieux pour venir ici. Il ne se plaisait pas dans le palais d’Abou Simbel, le Palais de Seth, planté au milieu d’un désert aride où rien ne poussait. Pourquoi ces Dieux avaient-ils décidé de s’installer ici ?
Son ascension terminée, il s’assit dans le sable et plongea son regard dans l’horizon. Il aimait ce lieu, sa quiétude, loin de sa vie insignifiante. De là où il était, il pouvait contempler le pays à plusieurs dizaines de kilomètres. Emhat était tiraillé. Il se sentait profondément égyptien mais se sentait à la fois étranger des Dieux qu’il fréquentait et des intrigues du pouvoir. Sa condition n’aidait guère à améliorer les choses. Etant fils d’une Déesse, il portait en lui le pouvoir du cosmos mais pas plus développé qu’un Nomarque. A quoi pouvait-il prétendre ? Rien. Il vivotait au jour le jour sans s’accrocher à rien. Il ne cherchait pas la gloire, l’amusement ou même le pouvoir, il cherchait un but, un idéal. Cette après-midi se termina avec le coucher magnifique du soleil sur le sable sans que rien ne change pour lui.
***
Le bruit de la porte qui s’ouvrit interrompit l’homme penché sur ses cartes.
- J’avais ordonné de ne pas me déranger, que se passe-t-il enfin ?
Il se retourna, interloqué, devant la silhouette du jeune homme lui faisant face.
- Qui êtes-vous ?
- Qui je suis ? Il est vrai que le temps et les années de souffrance ont profondément changé mon corps. Mais ma mère et moi vous devons beaucoup.
Esna se plongea dans ses souvenirs quelques secondes puis eut un flash.
- Tu es Ouari, le fils de Nedjed. Comment as-tu pu sortir du camp ? J’irai punir Kader pour ce manque de vigilance. Mais comment as-tu pu arriver jusqu’ici sans être éconduit ?
- Ne vous faites plus de tracas pour le Saïs Kader, je me suis déjà occupé de son cas. Là où il pourrit, votre colère n’a plus d’importance. Pour votre seconde question, les temps sont en train de changer. Je vais prendre le contrôle des choses maintenant.
- Petit prétentieux. Alors ainsi tu es éveillé au cosmos. Intéressant. Tu as eu de la chance, si j’avais su cela il y a neuf ans, je t’aurai tué sur le champ. Mais ne grille pas les étapes, ce n’est pas parce que tu arrives à briser des cailloux que tu auras raison de moi. Après avoir tué le père, je vais avoir le plaisir de tuer le fils ! Au fait, comment va ta catin de mère ? Est-elle passée entre toutes les mains, si l’on peut le dire ainsi, des gardes du camp ? Ha, ha, ha !
- Monstre, ainsi c’est vous qui avez tué mon père ! Ma mère est morte, charogne. Pourquoi vous être tant acharné sur ma famille ?
- La réponse est simple, le pouvoir. Ton père m’avait pris la place qui me revenait de droit, la place de Ouser. Cet imbécile n’a cessé de m’humilier. Je lui doit ce visage et cette main. Ramener cette traîtresse et en faire sa femme a été la goutte d’eau. Et toi, un bâtard Hyksôs, sous le toit du plus haut conseillé du Nomarque, tu es la honte de notre peuple.
- Vous, vous qui êtes à l’origine de toutes nos souffrances, vous allez mourir en ce jour !
- Je suis à toi mais ne crie pas victoire trop vite, morveux.
Sur ces mots Ouari lança son poing en avant vers Esna. Une charge de cosmo énergie fusa vers le Ouser qui d’un bond agile l’évita de justesse. L’attaque percuta le mur du fond de son bureau monumental et le fit voler en éclats. Esna n’avait pas attendu de voir l’impact qu’il fonçait déjà vers le jeune. Arrivé sur lui, il déchaîna son attaque à bout portant.
- Sun Blades !
Les bras croisés devant son visage, Ouari la reçut de plein fouet. Des centaines de larmes déchirèrent le sol et les murs dans des gerbes de flammes. Lorsque le calme revint, cette partie du bureau était elle aussi dévastée mais corps de Ouari était toujours à la même place, les bras en avant. Une sphère bleue entourait le jeune d’une lumière douce.
- Impressionnant ! Lâcha le Ouser. Tu sembles bien maîtriser ton cosmos. Mais cela ne sera pas suffisant !
- Je vous tuerai !
Les deux adversaires se lancèrent alors dans une valse d’attaques et d’esquives qui finirent d’achever la vaste pièce. Exténués, ils stoppèrent les assauts une minute. Le lieu à ciel ouvert était en ruines. Des nuages de poussières, les flammes dansantes et des tas de roches rendaient le lieu apocalyptique. Mais les deux adversaires étaient intacts.
- Ton père pourrait être fier de toi, jeune Ouari. Ma victoire n’en sera que plus douce.
Il repartit alors de plus belle. Evitant un nouveau coup, le jeune s’accroupi et assena un violent uppercut sur la tête du prétentieux Ouser. Le dégagement de cosmos le fit voler loin dans les cieux avant que son corps se fracasse dans le sol. Le visage tuméfié, Esna se releva furieux de cet humiliation.
- Tu vas le regretter.
De façon très concentrée, le Nebka releva la tête. Il tendit ses deux mains ouvertes vers l’avant et ses yeux se mirent à irradier d’une lumière aveuglante.
- Menmenu !
Le monstre des enfers de 5 mètres surgit une nouvelle fois du sol. Il ouvrit la gueule et hurla un cri terrorisant. Surpris, Ouari marqua le pas. C’était la première fois qu’il voyait une telle débauche de cosmos. Le monstre crachant des gerbes de flammes courut vers le jeune. Décontenancé, il ne savait pas comment attaquer ce monstre impressionnant. Passant son temps à esquiver, il semblait perdre l’avantage du combat. Soudain, une des griffes lui lacéra le bras gauche. Son cri de douleur réjouit son adversaire.
- C’est le début de ta fin, Ouari. Bientôt tu vas rejoindre ton misérable père et ta traînée de mère.
- Non !
Ressaisit par la phrase prononcé par le Ouser qui aurait dû l’achever, il reprit le contrôle de ses esprits. Non, il ne ploierait plus jamais devant qui que se soit. Il sentit alors affluer de nouveau tout ce pouvoir latent. Le Monstre tenta de l’attraper mais cette fois au contact de son corps la main griffue explosa en débris.
- Quoi ?! Fit Esna.
- Ni vous ni personne ne pouvez plus rien contre moi. Je suis le nouveau maître des lieux ! Tel, le serpent, je vous terrasserai. Noun’s River Predator !
Le sol s’ébranla alors qu’un gigantesque serpent de 15 mètres de haut fait de cosmo énergie bleue surgit derrière Ouari. Il le traversa comme une bourrasque mais sans ne rien faire de plus. Le furieux reptile emporta une bonne partie des fortifications du camp militaire. Le serpent ouvrit sa gueule géante sur Menmenu et l’avala en une fraction de seconde. Le titanesque serpent poursuit alors sa route vers Esna, qui effaré par tant de puissance restait comme pétrifié.
- Il ne peut pas faire ça, c’est impossible, pas lui, pas cette vermine !
Enchaînement de vaines attaques de lames brûlantes, le Ouser fut à son tour avalé par le reptile.
- Non, je suis le Ouser, tu ne peux pas me vaincre ! Je suis tout puissant, je suis…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase alors que la mâchoire mortelle comprimait son corps. Dans un dernier cri de souffrance, Ouari vit le responsable de tous ces malheurs disparaître de la face du monde. Il n’en fut pas soulagé pour autant. Ce n’était qu’une étape, un jalon dans son plan.
- Papa, maman, je nous ai enfin vengés. Reposez en paix.
Il retourna alors vers le camp. Arrivé à la sortie des ruines du bâtiment qui servit de palais au Ouser, un amas de nuages se forma au dessus de lui alors qu’une masse de Saïs et soldats se rapprochait pour l’affronter.
***
Une armée de presque dix mille soldats aux yeux noirs marchait maintenant en ordre derrière Ouari. Lui, l’ancien esclave avait réussi à prendre le contrôle de tous les hommes du Nebka Esna. La marche en colonne silencieuse effrayait les passants qui couraient se terrer dans leurs maisons. Fier devant ses troupes, Ouari, se sentait invincible. Il donna l’ordre de mental de stopper la marche. Et miraculeusement, sans un mot et d’une façon synchronisée irréelle, tous s’arrêtèrent. Ils étaient arrivés au terme de cette marche, le palais du Nomarque Khnoumhotep. Il laissa ses hommes sur le seuil et pénétra seul dans l’immense bâtisse. Lorsque la dernière porte s’ouvrit, le Nomarque était là, droit devant lui. Il l’attendait.
- Ainsi c’est donc vous qui semez tant de trouble dans la cosmo énergie ?
- Oui.
- Qui êtes-vous donc ?
- Je fus le fils de Nedjed qui fut votre Ouser avant d’être assassiné.
- Ouari ? Impossible, il est mort il y a de nombreuses années. Cette histoire d’assassinat n’est que sornettes. Nedjed est mort lors dans une lutte contrôle des Barbares Hyksôs !
- Vous devriez mieux contrôler vos informations. Mon père est mort, tué par votre Nebka Esna.
- Vous délirez, je ne vous crois pas. Etes-vous venu pour me déblatérer des histoires rocambolesques ?
- Que vous me croyez ou non n’a pas d’importance. Une chose est vraie dans ce que vous avez dites, le Ouari que j’étais est bien mort. En ce jour, je vais prendre un nouveau nom, un nom qui apportera la mort au peuple Egyptien entier, un nom qui sèmera la honte de l’auto destruction d’une nation, un nom qui détruira votre misérable assemblée de Dieux perfides nommée Khus. Tel le serpent, je vais mener le chaos en Egypte, on m’appellera dorénavant Apophis.
- Ha, ha, ha, quelle folie des grandeurs ! Croyez-vous réellement pouvoir tuer des Dieux ? Je vais vous ramener à la raison, Apophis. Contemplez le pouvoir des Nomarques et dites-vous que cela n’est rien en comparaison des Dieux !
Dans une bourrasque, le nomarque chargea pour lui asséner un flot d’énergie frontale. Gonflé d’orgueil, Apophis réussit tout de même à esquiver le flot qui percuta une colonne qui fut pulvérisée. D’autres attaques s’enchaînèrent à un rythme effréné. Bien que réussissant à se protéger, Apophis ne parvenait pas à placer une attaque.
- Alors, tueur de Dieux, vous rendez-vous enfin compte de votre faiblesse ?
Apophis reçut de plein fouet une attaque qui le propulsa dans le mur voisin. Le choc le fit le traverser pour retomber durement sue le sol. Nullement vaincu, il se releva lentement pour porter un regard dur sur le Nomarque. Concentrant son énergie, il surprit Khnoumhotep en contre attaquant.
- Hatred Tide !
Une colonne puissante percuta le ventre du Nomarque qui n’eut pas le temps réagir. Le coup lui fit cracher un nuage de sang. Dans sa course folle, il percuta deux colonnes puis détruisit lui aussi un mur.
- N’ayez crainte pour ma puissance, Nomarque.
- Je vais devoir monter un cran au dessus, si je veux le vaincre, admit Khnoumhotep. Divine Path !
De son poing droit, il déchaîna une voix lactée d’étoile de cosmos en direction du jeune. Le choc fut terrible. Une tranchée de près de cent mètres fut crée dans le palais, de nombreuses parties du bâtiment s’effondrèrent à cent mètre de part et d’autre. Tout fut pulvérisé sur la trajectoire mortelle du coup.
Le bras tendu vers l’avant Apophis avait réussit, au terme d’un effort intense à dévier une partie de l’assaut vers le plafond qui en fut pulvérisé. Une colonne de lumière visible à un kilomètre illumina alors le ciel déclinant. Toujours en position de parade, de nouveau entouré d’un halo bleuté, le jeune était intact. Khnoumhotep en était estomaqué.
- Quel prodige ! Est-ce un dieu ?
Le Nomarque porta alors sa voix.
- Quoi que vous soyez, vous ne me terrasserez pas !
- Mais je ne veux pas vous terrasser.
- Quoi ?! Mais que me voulez-vous alors ?
Apophis prit un ton dangereux.
- Je veux vous joindre à mon armée !
- Vous êtes fou, jamais je ne vous rejoindrai !
Apophis hurla alors de colère.
- Mais je ne vous demande pas votre avis ! Dark Parasites !
Les nuages s’amoncelant au dessus de son adversaire, Khnoumhotep sentait que quelque chose de dangereux allait se produire. Soudain des éclairs traversèrent Apophis pour finalement se transformer en rayons noirs qui pénétrèrent le sol. Instinctivement, le Nomarque déploya une parade.
- Gods’ Treasure.
Un cyclone se déploya autour de son corps, créant une barrière infranchissable dressée vers le ciel. Tout à coup les rayons surgirent par milliers du sol pour se rompre sur la défense du Nomarque. L’attaque ne cessait pas, au contraire, des rayons toujours plus nombreux arrivaient de seconde en seconde. L’effort que lui demandait sa défense l’épuisait rapidement. Soudain, un rayon la traversa et passa à vingt centimètres de sa tête. Un second passa encore puis un autre. L’avantage changeait de camp. Un quatrième lui percuta le mollet. Il sentit alors une vive douleur dans la jambe. Mais une chose anormale se passait, il sentait quelque chose bouger sous son armure. Pris dans sa défense, il tenta mentalement de stopper le parasite mais l’effort était trop intense et il sentait que cela remontait vers son torse. Dispersé entre deux fronts, il laissa passer un nouveau rayon qui le faucha au bras droit. Cette fois, la douleur lui fit baisser sa garde une fraction de seconde. Cent nouveaux rayons en profitèrent pour le percuter simultanément. Il s’effondra alors violemment sur le sol.
Pris de douleur par les centaines de parasites dans son corps, il ne pouvait plus se relever. Il vit néanmoins Apophis arriver au dessus de lui.
- Vous êtes à moi à présent.
- Jamais, jamais je ne vous rejoindrai !
Dans un dernier soubresaut, un des parasites atteignit sa tête. Une toile d’araignée faite de vaisseaux sanguins noircis macula son visage pour enfin disparaître. Le calvaire de Khnoumhotep cessa enfin lorsque que ses yeux devinrent noirs comme l’ébène.
- Bien Nomarque, relève-toi et rejoins-moi dans le conflit qui s’annonce.
Khnoumhotep, possédé, se releva alors et s’inclina devant Apophis
- Ho Dieu Apophis, je vous suivrai dans la lutte jusqu’à la mort.
Apophis était ravi. Tout ce à quoi il avait songé ces neufs dernières années prenait enfin forme. Il avait vengé sa famille et maintenant il allait prendre le contrôle de toutes les armées du Nome. Sa prochaine cible serait la capitale Thèbes et le Khus. Fort de ses dernières victoires, il était confiant, il allait pouvoir détruire l’Egypte.
Caché derrière des décombres, un homme vit toute la scène au péril de sa vie. Plus important, il avait tout entendu. Discrètement, il réussit à échapper aux ruines du palais du Nomarque pour enfourcher un cheval. Sa chevauchée dura près d’une semaine avant qu’il n’atteigne son but. Son impressionnant interlocuteur, assis sur son trône, écouta avec attention le récit de ce providentiel témoin.
- Ho Dieu Seth, je suis porteur de terribles nouvelles.
Personne n’entendit plus jamais parlé du pauvre messager…