Si je suis une approche thématique, d'abord sur la forme, l'élément le plus accrocheur mais peut-être également le moins important.
Le "pitch" du film, vous le connaissez certainement : un jeune indien de Pondichéry, grand adolescent, s'embarque avec sa famille (sa mère, son père, son grand-frère) pour le Canada. Son père gérait un zoo, depuis l'indépendance, mais il ferme. Ils s'embarquent donc pour une vie meilleure, avec l'ensemble des animaux, qui eux lui appartiennent, afin de les vendre sur place. Là-dessus, tempête, naufrage, et notre Pi se retrouve sur un radeau avec un tigre du Bengale, une hyène, un zèbre blessé, et un orang-outan. Survie.
Sur la forme, tout cela est super bien traité. Alors oui, l'Inde de l'époque est présentée sans doute de façon un peu caricaturale, clichée, et kitsch. Le réal (réalisateur) a voulu restituer une atmosphère post-coloniale, et c'est parfois effectivement un peu cliché. Mais bon, au moins, pas d'appesantissement sur la politique, les castes, les vaches sacrées et les mystiques, comme dans 3/4 des films sur l'Inde ! Le réal a traité d'autres aspects.
Pis bon c'est pas non plus une vision fantasmée, ça reste très proche de la réalité, ce qui est proposé ici !
La tempête (les tempêtes, plutôt), le naufrage, le radeau : tout cela est splendide. Les jeux de lumière et de couleurs m'ont laissé par terre. Quand au fameux tigre, baptisé Richard Parker (Cf. le film pour en savoir la raison
), les mouvements naturels du félin sont formidablement captés puis retransmis par l'image de synthèse, formant un tigre plus vrai que nature ! C'est un amoureux des félins, chats et gros chats, qui vous le dit. Dans sa souffrance, dans sa fringale, dans ses mouvements natatoires : l'image informatisée retranscrit jusqu'au moindre petit tressaillement de poil.
Un vrai bonheur pour l'amateur de félidés en tout genre.
D'autre part, toujours sur la forme, ce film est interdit aux moins de 10 ans et j'aurai même pensé qu'il puisse l'être aux moins de 12 : les scènes sont parfois violentes ; je vais y revenir.
Passons au fond. Il a quelques points que je voudrais aborder, de manière non-exhaustive, bien évidemment : l'animalité, le dépassement de soi, le rêve, la Religion et la Foi, et enfin la fin du film.
En premier lieu, l'animalité et son traitement. Je suis, et je peux l'assurer avec sincérité, un amoureux des animaux. Mais je ne tombe en aucun cas devant l'angélisme ambiant des adorateurs contemporains des animaux, ni dans l'anthropomorphisme. En tant que Chrétien, je respecte profondément la Création telle qu'elle est, et l'animal est beau tel qu'il est ! Un carnivore est un carnivore, un prédateur est un prédateur. Et bien le film nous montre les animaux, et notamment ce tigre, dans toute la splendeur de leur animalité, et dans toute la rigueur de la loi naturelle. C'est d'ailleurs en ce sens que les images sont parfois violentes, même si pas forcément crues et explicites.
La hyène affamée en jette. Le tigre, et cela se voit à travers le discours du père ("ce n'est pas ton ami") et l'expérience traumatisante qu'il fait vivre à son fils au zoo, n'est pas attendri, ni domestiqué. Ils parviennent à cohabiter ensemble, à se respecter, par un travail de dressage. Par un intérêt mutuel aussi. Mais jamais par de la domestication. C'est un réalisme qui fait du bien, à mon sens, parce qu'il montre, à une époque où on nous explique qu'un gros animal potentiellement dangereux est un ange par nature, qu'on peut à la fois respecter pleinement l'animal et sa Vie, et le protéger. Mais qu'on a aussi le devoir de se protéger face à lui. Je ne pars pas sur les débats loups/ bergers, etc., mais l'idée est là : concilier deux intérêts, et ne pas sacrifier, par idéologie, l'intérêt humain. Parce que celui-ci peut toucher à la survie, et ne pas être systématiquement ramené à un quelconque intérêt capitaliste, que bien entendu je condamne (oui j'essaie le difficile exercice d'être écolo ET humaniste
Ca devrait fonctionner ensemble mais je ne lis pas toujours ça sur les forums ....).
Et puis ce réalisme est beau aussi. Un bébé tigre que l'on caresse, c'est trop mignon. Mais un tigre adulte qui rugit et a l'instinct du chasseur dans ses yeux : qu'est-ce que c'est beau également !
En second lieu, le dépassement de soi. Là je serai bref : toute la survie de ce très jeune homme dans des conditions aussi hostiles insiste sur le dépassement de soi, la survie coûte-que-coûte, vaille que vaille, et le souffle de Vie que chaque créature a en elle, et qui est magnifique. Je revois encore une scène où Pi et Richard Parker se regardent dans les yeux, dans l'eau, le froid et la nuit. Aucun des deux ne veut abandonner Espoir et tout lâcher. Cet échange de regards est à couper le souffle.
En troisième lieu, le rêve. Le jeune Pi est un rêveur. Il enchante son quotidien et a besoin de rêver pour avancer et mieux appréhender la réalité. Encore un super pied-de-nez à tous les chantres de la lucidité et du pessimisme en période de crise : Pi a survécu grâce à son âme d'enfant, qui l'a aidé à se relever et à ne rien lâcher. Etant un farouche optimiste, j'adhère à ce message, voilà
Il y a une forte opposition, assez clichée au demeurant, avec son père sur ce point.
Mais également avec sa fiancée indienne, lorsque tous deux contemplent le tigre au zoo : il imagine qu'il prend la pose.
Et elle, beaucoup plus terre-à-terre : euh non Pi. Il a bougé la tête parce qu'il a entendu un son, c'est tout ^^
Je me suis un peu reconnu dans cet aspect de Pi.
Ensuite, la Religion et la Foi. Là, j'estime que le film ne va pas complètement au bout de son propos. Je suis moi-même croyant, et le film part sur quelque chose de très intéressant : le rapport de l'Homme à Dieu, la Foi elle-même, au-delà de la Religion.
La Religion c'est très bien en soi (les Eglises doivent exister pour rassembler, "relier", ce qui est étymologiquement la raison d'être d'une "Religion" il me semble). Mais elle ne recouvre pas l'intégralité de ce qu'est la Foi, de ce qu'est cette conviction, et ce lien mystique qui n'a ni vocation à être infirmé par la science, ni vocation à être confirmé par elle. Qui part d'une conviction : "je crois", sur de l'immatériel qu'aucune démonstration matérielle ne peut ébranler, et qui n'a pas besoin de se mêler du matériel et du pouvoir temporel (ça c'est mon optique. Je suis purement laïc d'un point de vue temporel et public).
Par exemple, tous ces débats entre créationnistes, darwiniens, etc., m'ennuient au plus haut point. Je connais l'histoire de ma planète, je pense que la théorie de l'évolution est la bonne (dans ses formes récentes, puisque Darwin a été retravaillé notamment en matière de phylogénie), et pourtant j'ai la Foi. Je pense qu'il y a un Dieu, le Dieu dans lequel je crois, qui a eu le dessein, l'intention, et la volonté créatrice d'induire ce "tout", et cet univers, dans ces lois biologiques et physiques, et pas dans d'autres. C'est mon avis, ma conviction.
Rien d'incompatible, sauf pour ceux qui ont une revanche à prendre, sur la science ou sur la Religion, selon le "camp" dans lequel ils se trouvent. Et qui veulent absolument "abattre" l'autre camp, pour des raisons qui généralement n'ont rien d'objectif ^^
Pi, enfant, se cherche. Il est à la fois Chrétien, Hindou, Musulman ! Adulte, il donne des cours sur la Kabbale ! C'est un "humaniste" des Religions
Et son rapport à la Foi, c'est un rapport que j'aime : s'interroger sur l'Amour, sur le divin, sur l'humain et ce qu'il y a de beau dans l'humain. Donc également le dépassement de soi. Bravo au film pour ça. Bravo pour n'être pas parti, une fois de plus, dans une énième discussion sur les Religions : les guerres de Religion, les femmes, le terrorisme, etc.
Pour une fois, on a une approche universaliste sur la Foi, l'humain et le divin, sans volonté de débat ou de positionnement. Même si ces débats sont importants et majeurs en ce siècle, on peut aussi parler d'autre chose, de temps en temps .... Des choses utiles et qui justement pourraient recentrer certains croyants "extrémistes" sur ce qui est vraiment important, et les éloigner de leur trop grand formalisme. Et ce dans toutes les Religions, la mienne comprise (je déteste les extrémistes).
Mais, comme je l'ai dit, je trouve que ce n'est pas pleinement abouti .... Je me trompe peut-être. D'abord, justement, le film tombe avec trop de facilité dans "toutes les Religions, au fond c'est pareil". Non. Ca non. Ce n'est pas pareil. Quand un Chrétien dit que Jésus est Dieu fait Homme, un Musulman ou un Juif ne pensent pas du tout la même chose, et c'est quand même important, en matière Religieuse, d'identifier Dieu .... Donc non, on ne pense pas pareil : on a des vues différentes et distinctes. De même, un Hindou qui est polythéiste n'a pas du tout la même Religion qu'un monothéiste ! Des valeurs peuvent être communes bien sûr. Le processus de Foi, finalement, connait de grandes constantes. Mais le "tout le monde pense pareil au final", c'est démago, simpliste et faux.
Ensuite, sur le Christianisme lui-même, il y a quelques échanges intéressants entre le jeune Pi et un prêtre. Mais lorsque le premier aborde la question de "pourquoi Dieu laisse-t-il faire le mal sur Terre ?", la réponse est grosso modo qu'on ne doit retenir que l'Amour. Oui certes, mais la question était autre, et méritait une réponse. Même la réponse de dire qu'on ne l'a pas
Mais une réponse, un débat sur ce thème. Parler de l'Amour est le principal, mais ça n'empêche pas de se demander pourquoi le mal existe. Lancer une question comme ça, importante, et finalement l'éluder, je trouve ça un peu maladroit ....
Ma dernière réflexion sur la Religion dans ce film, je la réserve pour la fin du film.
Venons-en à cette fin. Le réal nous propose une autre histoire, de la bouche-même de Pi. Et si tout ce qu'on a vu jusqu'à présent n'était qu'un rêve, qu'une métaphore ? Après tout, c'est un rêveur, et l'autre histoire est si sordide (je ne la raconterai pas) que l'adolescent qu'il est a pu projeter ce rêve, et refouler sa véritable histoire sur le radeau.
En sortant du film, j'y voyais un bémol. Parce que me présenter une histoire moins poétique, moins féerique, cassait tout ce pour quoi je m'étais enthousiasmé. Mais avec du recul non, ça ne casse rien
On peut, comme l'écrivain qui converse avec lui, choisir la fin que l'on veut. Choisir l'histoire que l'on veut. Même la réaliste n'enlève rien au rêve qu'on vient de vivre. Et je dirai même plus, elle s'accorde avec plein de clins d'oeil dans le film : Vishnou qui "rêve le monde", etc., etc.
Par contre, si bémol il y a à mon sens, il est peut être dans une phrase de Pi adulte, l'une des dernières du film : "Et bien Dieu, c'est pareil". Sous-entendu (du moins c'est comme ça que je l'ai compris) : le monde réel serait "enchanté" par la Religion ? Si c'est ça et que je n'ai pas mal compris, on aurait quelque part une version alternative de l'opium du peuple et du : "croire est un confort".
Non non
Je ne crois pas pour "enchanter" mon quotidien ou la réalité (j'ai mon âme d'enfant pour ça),
Je crois parce que je suis heureux de le faire et convaincu ! Alors là aussi, je respecte le droit de chacun de croire et de ne pas croire. Je suis un laïc militant pour la laïcité. Mais pas d'infantilisation de ma sphère privée avec cet opium ou l'analyse freudienne du phénomène de Foi (l'image du père et toute la panoplie freudienne) ! Et là, le film m'a un peu déçu pour ça parce que ça peut donner du grain à moudre aux gens qui pensent comme ça .... Bien que ce soit vraiment final et que ça n’entache pas l'ensemble du propos ! Encore une fois, l'ensemble du propos (et c'est bien, je pense), sur la Foi, tourne autour de Dieu bien plus que de la Religion.
Voilà, donc excellent film, pour conclure ! Je le recommande, et j'ai vraiment passé un super moment de détente et de divertissement, ce qui est un point important au cinéma hein ?
Par contre, la 3D je vais vraiment éviter à l'avenir .... C'est super beau mais mes yeux ne supportent apparemment pas, malgré les lunettes ....