Le jour même du lancement, quelques articles ainsi que de multiples messages d’internautes annoncent que les fiches de présentation de certains classiques, tels que Dumbo ou Peter Pan, mettent en garde le public de la façon suivante :"Ce programme est présenté tel qu’il a été créé. Il peut contenir des représentations culturelles dépassées."Cette révélation du caractère potentiellement offensif de films longtemps considérés comme précisément inoffensifs par des générations successives de parents attise aussitôt le débat sur les "snowflakes", les "petits flocons de neige" dont Chuck Palaniuk se moquait déjà dans son livre Fight Club en 1996. Certains n'hésitent pas à accuser Disney de céder à la mode du "safe space", la surprotection d'un public qui n'aurait jamais appris à se confronter à d'autres visions du monde que la sienne.[...]Dès le 7 novembre, pourtant, le Hollywood Reporter annonçait que certains titres célèbres du catalogue Disney seraient absents ou modifiés. Absente la séquence post-générique de Toy Story 2, dans laquelle le vieux prospecteur était surpris en train de faire des avances déplacées à des poupées Barbie ; la séquence fut retirée des copies en circulation depuis que son auteur, John Lasseter, a du quitter la compagnie suite à des accusations de harcèlement sexuel. L'article annonce également, à tort, l'absence de la séquence des corbeaux dans Dumbo. Elle est bien présente sur la plateforme Disney+.[...]Pressée de faire fructifier son catalogue, la société n’a ni le temps ni l'intention d'inviter sa clientèle à des débats sociologiques ou d'historiens et elle préfère se prémunir de toute accusation avec un bouclier légal qui a fait ses preuves depuis des décennies. C’est ce qui l'a menée à enterrer progressivement l'un des plus grands succès de son Histoire : La Mélodie du Sud (1946).[...]La chanson oscarisée de l'Oncle Remus, Zip-Dee-Doo-Dah, a fait l'objet d'un grand nombre de reprises. Elle servit durant des décennies de générique d’ouverture aux émissions labellisées Disney ainsi que de thème récurrent dans les parcs d'attraction. Dès sa sortie fin 1946, La Mélodie du Sud a fait l'objet de controverses.[...]Le film connut une exploitation régulière en salle dans les décennies suivantes, en roulement avec d'autres classiques Disney, et c'est durant les années 80, aux prémices du marché vidéo que son sort fut scellé. Sous l'impulsion du président Michael Eisner qui considérait que son imagerie pouvait potentiellement évoquer le racisme, le film sortit en VHS uniquement sur les territoires européens et asiatiques, puis plus tard en laserdisc mais uniquement au Japon. Il est aujourd'hui officiellement invisible bien que son cas soit régulièrement discuté par chaque nouveau dirigeant du studio. Ce qui ressort de ces discussions n'est pas le caractère éventuellement raciste du film mais bien la possibilité qu'il soit lu sous cet angle, du simple fait qu'il rappelle la période qui a immédiatement suivi l'abolition de l'esclavage. Le fait est d'autant plus ironique que l’auteur des nouvelles originales de "L'Oncle Remus", Joel Chandler Harris, s'est essentiellement nourri de la tradition orale afro-américaine de son enfance. Lui-même fervent partisan de la réconciliation raciale, il voyait ses récits comme une façon de """conserver de façon permanente ces curieux souvenirs d'une période qui sera sans doute tristement mal représentée par les historiens du futur".[...]Il est à noter que ce qui a vraiment poussé l'entreprise Disney à reconsidérer son catalogue est l’apparition du marché de la vidéo domestique. Le public des années 50/60/70 n'était pas ignorant du caractère très stéréotypé de certaines séquences de films. [...] Tant que ces stéréotypes permettaient une double lecture, ils conservaient leur statut "d’innocence". Ceux qui ont été pointés du doigt comme ouvertement racistes ont fait l'objet de révisions. C’est ainsi que Sunflower, la licorne afro-américaine de "Fantasia "(1940) a été retirée sans ménagement de toute copie du film dès 1969.[...]Les autres stéréotypes ont commencé à devenir problématiques lorsque les films Disney se sont invités à l'intérieur du foyer à partir des années 80. C'est comme si l'on avait considéré que le public qui se déplace en salle était plus responsable de son choix, qu'il avait pris le temps de se renseigner sur le film, tandis que le public vidéo pouvait ressentir le message inattendu ou non désiré comme une intrusion dans son intimité. Cette appréhension, bien sûr conditionnée par l'énorme enjeu financier de la vidéo domestique, a ouvert la voie à des révisions et à des censures plus ou moins discrètes sur les "classiques Disney".[...]En novembre 1992, le film Aladdin sort en salle ; il connaît un succès phénoménal et des ventes de disques conséquentes. Sa chanson d'ouverture, Arabian Nights, a été composée par le génial Howard Ashman dans son lit d'hôpital peu avant que le SIDA ne l'emporte. Mais en juillet 1993, il est décidé de modifier un de ses couplets qui décrit cette Arabie des 1001 Nuits comme un endroit "où on te coupe l'oreille si ta tête ne revient pas ; c'est barbare mais, hé!, c'est chez moi". Suite à une plainte de l'American-Arab Anti-Discrimination Committee, le couplet devient "c'est tout plat et immense ; la chaleur est intense; c'est barbare mais, hé!, c'est chez moi" sur toutes les copies vidéo et télé du film.[...]Du fait d'une population musulmane plus importante, la version française de la sortie en salle avait anticipé le problème et ménageait les susceptibilités puisque les paroles françaises disaient "où pendant ton sommeil, les serpents t'ensorcellent; c'est bizarre ça mais, hé! c'est chez moi."[...]Depuis les années 80, un certain nombre de "classiques" ont déjà été nettoyés de petits détails embarrassants au fil de leurs sorties vidéo (Bernard et Bianca, Merlin l'enchanteur, La Petite sirène) ; le studio a pris l'habitude de réserver des montages spécifiques de ses productions Marvel pour l'énorme marché chinois et enfin un très bref baiser entre deux femmes a été retiré du récent Star Wars, épisode IX pour sa sortie au Moyen Orient. À terme, le streaming ne peut qu'encourager la réduction au plus petit dénominateur commun, l'aplanissement de toutes ces aspérités diversement appréciées selon les continents. Pour l'heure, il convient de se féliciter que le message d'avertissement de Disney+ débute encore par ces mots : """Ce programme est présenté tel qu'il a été créé".
et enfin un très bref baiser entre deux femmes a été retiré du récent Star Wars, épisode IX pour sa sortie au Moyen Orient
Pour en finir avec le katana comme reine des épées.
En voilà une pour Damien.